Blog de Romain Sertelon

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5 Décembre

05 Dec 2019

On est là, on est là ! \ Même si Macron ne le veut pas, \ Nous on est là ! \ Pour l'honneur des travailleurs, \ Et pour un monde meilleur ! \ Même si Macron ne le veut pas, \ Nous on est là !

Chant des Gilets Jaunes

Manifester

J'ai voté Macron. "Contre" Le Pen. Je me doutais du virage ultra-libéral qu'il incarnait, mais pas à ce point. Je suis contre sa politique. Il parle, mais fait l'inverse. Quand il casse, il dit réparer. Et il casse beaucoup, vraiment vite.

Quand les gilets jaunes sont apparus, j'ai trouvé que c'était sain que les gens sortent, se retrouvent ensemble sur des rond-points. J'ai toujours été très critique quant à la couverture des médias principaux sur les gilets jaunes. J'écoute des témoignages, des radios populaires, on est très loin du portrait raciste et juste-là-pour-casser.

J'ai envie d'y aller, mais j'ai vu les images. Les yeux perdus. Les mains déchiquetées. Les pieds abîmés... Je ne suis pas dans la même urgence que les gilets jaunes. Je gagne (très) bien ma vie dans un métier qui me convient, je suis propriétaire, j'ai deux enfants en bonne santé...

L'appel à la grève générale du 5 décembre m'interpelle. Le mouvement s'intensifie. Partout les appels fleurissent. Ça grandit. Alors je me motive, je ne peux faire grève seul dans mon entreprise alors je pose un RTT, je participerai à la manifestation de Paris.

La suite de cet article est une retranscription de notes prises dans la journée.

10:00

J'ai posé la voiture Gare de Lyon. Pas loin de Nation, pour le retour. Y aura-t-il un retour ?

Marche à pied, j'offre un café à un monsieur qui veut me vendre un journal de sans abri. "Je vis dans une caravane à Corbeille Essonne avec mes deux filles, on n'a presque plus de Butagaz. Personne ne donne rien ce matin, je suis dans le froid depuis 6h".

Je marche. La ville est vide, il est pourtant 10h, le périph' était vide, la ville est comme éteinte, arrêtée. Place Pasdeloup, les CRS se mettent en place. Quelle ironie.

Des gens sont regroupés devant la Bourse du Travail, et place de la République.

Scène étrange que ces CRS sur-armurés, fusil de guerre à la main. Les passants passent... comme si c'était normal. Je suis choqué. Je me demande si j'en serai la cible plus tard, ça fait froid dans le dos.

Des pompiers ont allumé un feu pour se réchauffer. Les futurs manifestants ont l'air joyeux, ils discutent, ont le sourire. La manifestation fait du bien, avant l'heure.

11:00

Les plus bruyants sont sans conteste les forces de l'ordre. Que de sirènes !

Le boulevard de Magenta est rempli de camions de CRS. Ils sont pour l'instant plus nombreux que nous.

De nombreux véhicules de Police et CRS semblent postés comme en embuscade dans les rues adjacentes du parcours prévu. Prêts à bondir ?

Gare de l'Est est pour l'instant très calme. Enfin, si on compte pas les sirènes : l'acouphène guette !

Des voitures de police avec des personnes habillées en civil dedans, j'entends les camarades autour: "C'est la BRAC, quels enculés ceux-là !".

Il est bientôt midi. Il fait froid et gris, mais brille en moi un soleil. Je suis là où je dois être.

Un petit stand propose des livres militants d'occasion: 1€, 1€50 pour aider les médias alternatifs. L'idée me plait beaucoup.

12:00

Retour sur mes pas. Je m'arrête à Bonsergent où les éditions Libertalia ont posé leur stand et leurs livres à moitié prix ! L'occasion de remplir mon sac. Guillaume Meurice leur lance un "Alors, il sont bien à l'abri les anar, hein ?" en rejoignant Gare de l'Est.

Pédagogie Freinet, la Commune, et la culture du viol finiront dans ma bibliothèque. Je continue vers République. Des CRS filtrent les gens qui montent, jètent les briquets d'un groupe de fumeurs racisés et font descendre les gens de leur vélo pour voir le contenu de leur sac.

13:00

Retour vers Gare de l'Est. Un monsieur m'interpelle alors que je suis au téléphone. Ma famille est allée manifester, ou a tenté de le faire. Saint Etienne, Marseille. Ma grand mère voulait, mais n'a pas osé : "Et si je dois courrir ? Je n'en serai pas capable". Mon frère n'est pas resté longtemps, peur que ça chauffe pour lui. Ma mère a été refoulée par les CRS...

Ce monsieur est âgé, avec une cane, l'air fatigué. Je le rejoins après avoir raccroché: "C'est bien ici (Bonsergent) le point de rassemblement gilet jaunes ?".

Gare de l'Est: les cortèges se préparent et se dessinent. Devant : la CNT, SUD/Solidaires, UCL. Plus loin la CGT et derrière, a priori, les partis.

Il y a de la musique. Des gens. Beaucoup. Des travailleurs du service public en nombre également, dont des pompiers. Ça tracte, ça chante, ça danse parfois, ça siffle. La manif prend vie.

13:45

La manifestation va commencer ! C'est plein entre Gare du Nord (presque) et Bonsergent au moins ! Les slogans s'échauffent, les gens chantent en choeur : quelle joie ! La lutte souffle à travers ces voix, ça me fait penser aux furtifs de d'Alain Damasio.

J'ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux. C'est beau !

14:15

Le cortège ne semble pas avancer comme prévu, mais à Bonsergent c'est plein à craquer ! Cris de joie lorsque le cortège étudiant nous rejoint par la rue de Lancry, et de nouveaux slogans à chanter !

Fin de journée

Mes notes s'arrêtent ici. Après, la tête de cortège s'est retrouvée coincée un bon moment. Jusqu'à ce que ça commence à chauffer. Je ne sais pas qui a cherché qui, mais il est certain que si nous avions pu avancer au lieu de devoir attendre, ça aurait chauffé plus tard/loin.

Avancer n'étant plus possible, et les affrontement poussant les gens à s'éloigner, nous faisons demi-tour pour revenir sur Bonsergent. Ça compresse, il n'y a pas assez de place, alors on se "déleste" rue de Lancry pour aller vers le canal Saint Martin. De là, nous pourrons rejoindre Nation sans encombre. Le gros de la manif n'a pu partir de Magenta que lorsque je suis arrivé chez moi...

J'ai passé à peu près 8h dans les rues de Paris, debout dans le froid, à marcher. J'ai eu un aperçu de l'horreur que vivent les SDF, moi qui ne craint en général pas le froid, j'ai cru que mes pieds allaient geler.

Ce que je retiendrai de cette journée (et de mes notes à chaud) c'est ma peur des forces de l'ordre en allant à la manifestation et l'oubli de cette peur entouré des autres manifestants. Voir tous ces gens partager la même envie d'un monde meilleur, plus juste, m'a fait du bien.

En revanche, la liberté de manifester semble doucement s'étioler, tant j'ai lu d'autres témoignages sur la peur des forces de l'ordre et de la dissuasion que cela provoque. J'ai failli moi-même ne pas y aller.

Malgré tout, il semble que la mobilisation était très importante (c'est ce que j'ai cru voir de mes yeux), je lui souhaite de ne pas faiblir et participerai encore si cela m'est possible.

Régime \ spécial \ pour notre président. \ La retraite \ à quarante deux ans !

Slogan des étudiants